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Une plume, des mondes
4 octobre 2013

Plume d'Encre ~ Défaire l'ennemi

Texte réalisé à l'occasion d'un concours de RP ayant pour thème "combat avec un ennemi". 

 

 

 

Une pièce. Sombre. 

 

Le bruit de l’eau qui goutte et rebondit. Incessant. 

 

Au loin, le son d’une lame que l’on affute se fait parfois entendre. Lugubre. 

 

Les yeux fermés, je tente d’apaiser les battements de mon coeur qui résonnent inlassablement à mes oreilles. Mes inspirations, lentes et calculées, ne parviennent pourtant à aucun résultat concret sur mon pouls affolé. Tout tambourine et martèle selon un rythme erratique, imprimant des arabesques blanches sur mes pupilles. Des maux de tête. 

 

Mes doigts caressent un instant la froideur de la chaîne enlaçant mes jambes. Je sens son poids sur mes épaules, autour de mes poignets, le long de ma peau en tant et tant d’endroits que je ne prends pas la peine de tous les assimiler. Je l’ai déjà trop fait. La faiblesse de mon état m’a laissé tout loisir d’avoir conscience de chaque infime partie de mon corps. La solution se trouve plutôt en d’autres options, j’en suis certaine. 

 

Un choc violent résonne soudain. Je sursaute. Mon flanc se déchire, mon sang jaillit, mes yeux s’ouvrent. 

 

L’armée ennemie nous fait face, des sourires macabres sur les visages, du moins est-ce ainsi que je les distingue. La forteresse est loin d’être tombée encore, mais chaque nouvel assaut réduit un peu plus nos défenses. En première ligne, nos paladins commencent à souffrir. Les armures présentent d’inquiétantes bosses, signe de la violence des affrontements, et même les incantations de résistance et de protection que les hommes profèrent ne parviennent plus à amortir la force des affrontements. 

 

Plus grave encore, une ennemie redoutable fait route et progresse en nos seins avec une facilité accrue de seconde en seconde. Elle sape nos efforts, affaiblit nos bras et ronge nos protections. Elle est partout, elle est unique, et dans chaque regard, je la perçois et la redoute. 

 

La peur. 

 

Une prêtresse à la douceur angélique appose ses mains sur ma plaie. La douleur reflue, mon flanc se fait moins cuisant. La peur demeure. Intacte et grandiose, drapée de son masque souriant, elle consume chacun de nous. 

 

Elle m’enchaîne plus sûrement que les liens les plus solides. Elle m’isole mieux que toutes mes velléités de différences et d’exil. Elle me domine et m’enferme, abat mes résolutions, m’emprisonne dans la plus sombre des caves.

 

La peur de n’être pas à la hauteur. La peur de décevoir. La peur de mourir. Des heures de préparation, des centaines d’exercices, trop de livres dévorés pour les compter, enseignant les plus sombres arcanes, les plus terribles sortilèges. J’ai arpenté les terres en tous sens, puisant dans les découvertes que j’ai fait au cours de chacune de mes existences pour peaufiner cet art. Sans relâche, j’ai pratiqué la magie jusqu’à l’épuisement. 

 

Je voulais être à l’épreuve de tous les obstacles. Je voulais surpasser ma condition humaine. Je voulais pouvoir affronter les pires dangers pour me débarrasser enfin de la moindre couardise.

 

J’ai échoué. La peur demeure.

 

Il me faut me reprendre.

 

Mes mains s’illuminent sous l’effleurement de la magie. Mes doigts frissonnent un instant sous la puissance déployée. Mes phalanges relâchent le pouvoir contenu en leur contrôle.  Un franc-tireur tombe en face, un fanatique du Roi réduit à l’impuissance pour un long moment, mais cela ne suffit, cela est bien trop peu. Les barbares s’acharnent, les druides lacèrent, et la grande salle truffée de pièges déployés au sol devient le lieu d’une boucherie sans égale. 

 

À mes côtés, un jeune géomancien fait front avec la bravoure de l’inconscience. Nous n’avons eu le temps que d’échanger quelques mots, pendant l’accalmie suivant le repli, lorsque les chefs et les décideurs ont entassé les maîtres des arcanes sur ce vieux balcon poussiéreux. Nous ne sommes guère nombreux, la plupart des soigneurs se trouvant dans les rangs des combattants pour mieux les panser, quelques autres mages déployant leur talent plus bas pour protéger les alentours des guerriers par d’habiles pièges. 

 

Pourtant, notre position donne lieu à un intérêt appuyé des ennemis. Cela fait bientôt une heure que nous supportons les flèches et autres projectiles avec patience et habileté. Les maîtres de la glace ont déployé leur protection, ralentissant ou arrêtant une partie des dangers nous menaçant, mais il en reste toujours trop, tandis que peu à peu, nous faiblissons. Garder ces sortilèges de défense actifs pendant tant de temps demande une énergie considérable, riposter et harasser l’ennemi de nos propres productions exige une maîtrise que seuls les plus qualifiés peuvent atteindre. 

 

Du coin de l’oeil, j’observe le géomancien. Il semble fatigué, comme nous tous j’imagine. Ses longues mèches blondes gouttent d’une sueur salée dont il ne semble pas avoir conscience, l’esprit concentré sur sa prochaine incantation. Sa bouche tordue sous l’effet de l’attention qu’il déploie laisse apparaître une rangée de dents blanches profondément plongées dans sa lèvre inférieure. Si jeune... Presque un enfant, déjà occupé à faire la guerre, à risquer sa vie pour une lutte de pouvoir stupide. Un grondement résonne au fond de moi, annonciateur de danger. 

 

Tandis qu’il rouvre les yeux, laissant déferler l’incantation, son visage soudain se fige. Un hoquet traverse ses lèvres stupéfaites, ses épaules s’affaissent. Avec horreur, j’avise le long empennage dépassant de sa poitrine, sous son épaule gauche. Avant même de le rattraper, je sais qu’il est trop tard pour lui, pourtant lorsque le corps sans vie s’effondre dans mes bras, mes doigts cherchent avec avidité un pouls signe d’existence encore. La prêtresse immédiatement est à mon côté, déployant déjà son enchantement, mais en regardant ses yeux, je sais que pas plus que moi, elle ne se leurre. D’une main tremblante, couverte de sang, j’abaisse les paupières du mort, consciente de n’avoir déjà que trop tardé à reprendre ma place dans les rangs. 

 

Autour de moi, l’atmosphère s’est modifiée. Ce géomancien est le premier à tomber sur ce balcon, renforçant l’idée de la mort, mais créant également une nouvelle dynamique. Dans un ensemble parfait, les sortilèges sont lancés. Dans une harmonie étrange, ils s’élèvent dans les airs, survolent nos guerriers au sol. Avec une acuité inquiétante, ils frappent la rangée ennemie, balayant pour un temps un assaut peut être fatal à nos troupes. 

 

Le tonnerre gronde. Au sommet de ma falaise, j’observe le monde qui ploie à mes pieds. Mon coeur s’est affolé depuis trop longtemps pour que je m’en inquiète encore. Ses battements humides résonnent à mes oreilles avec la symphonie de l’habitude. Je n’en ai cure. Un éclair déchire le ciel, frappe la vallée avec puissance. Le feu s’élève, gigantesque malgré la pluie qui s’abat, et bientôt la grange n’est plus qu’un souvenir. 

 

Un sourire désaxé étire mes lèvres, une lueur de folie dans le regard. Mes doigts, telles des serres, lacèrent l’ennemi. Son visage n’est plus qu’un souvenir d’homme, le sang macule sa peau en trop d’endroits, mais ma vengeance n’est pas assouvie. Mon ire n’est pas apaisée. Point du tout. 

 

Un nouvel éclair laboure le ciel. Sa puissance s’abat, sa chaleur m’étreint, son souffle me taillade, l’homme dans mes mains s’étiole, la douleur me submerge.

 

Seule sur mon rocher, face aux éléments déchaînés, je patiente. Le froid ronge mon être, ma peau se pare de gerçures, mes articulations blessées commencent à accuser le choc. Mes doigts ne répondent plus à mes sollicitations et mes sensations se perdent sous les cuisses. Pourtant je demeure. 

 

Les limites de l’homme sont trop acérées pour que je daigne les accepter. Transie dans la tempête, les éclairs déchirant mes tympans, je m’imprègne de la pluie, de l’orage, pour ne plus redouter les éléments et leur colère. Pour assimiler le froid comme partie de mon être, pour comprendre le mécanisme de la rage, pour m’affranchir d’une réalité qui me réduit à l’état de simple magicienne. 

 

Mais l’ardeur de la tourmente me défait petit à petit, me plongeant petit à petit dans une inconscience dangereuse.

 

J’ouvre les yeux. Le bois sombre de la balustrade mord la peau de mes paumes sans pitié aucune. Plus bas, les ennemis ont riposté. Le feu n’est pas tout à fait éteint sur ma peau, consumant encore un peu de mon énergie. La prêtresse, déjà, est occupée à soigner mes blessures. Je tente de me remettre de ma folie. De ma colère. Cette rage intense a déchiré mon estomac, a épuisé mon énergie, m’a fait perdre tout sens commun. Ma magie s’est déchaînée je le crains, à en voir le recul prudent de la plupart des mages sur le balcon et la distance qui semble s’être instaurée avec moi. Livrée ainsi à elle-même, qui sait ce que la glace a pu faire, ce qu’elle a pu détruire. 

 

Ma peau ne fait plus mal. La douleur s’est apaisée. Pourtant ma tête tourne. Mes membres sont lourds, sont gourds, impossibles à bouger. J’ai longtemps cherché à réfréner mes émotions, les enterrant, les enfouissant, les cachant à ma propre vue. Je pensais être plus forte ainsi, paraître inaltérable, intouchable. Ce fut une erreur. 

 

Aujourd’hui, mes sentiments s’expriment avec plus de vigueur que jamais, brisant les chaînes que j’avais érigées - le croyais-je - pour mon bien. Peur, colère, folie, tant de faiblesses de l’homme, tant d’altérations de sa raison propices à le faire fléchir. Je ne suis que trop fragile, jouet de mon corps, de mon esprit trop souvent défaillant. 

 

Une flèche perce mon épaule. La magie d’une flamme ronge ma cuisse. Mes mains tremblent, mes doigts se resserrent sur la rambarde. Je lutte pour me calmer. Je lutte pour surmonter cet abattement que je ressens. Je lutte. 

 

Un projectile effleure ma joue. Mes jambes lâchent soudain. Ma tête s’effondre, mon coeur s’affole, mon poids m’emporte. Le bruit du bois qui éclate. Les cris des mages. Le vide sous mon corps. L’estomac qui s’envole. 

 

Le choc du sol rencontré trop brusquement. La douleur d’un os cassé, ou de plusieurs. Le goût du sang dans la bouche. Des images floues. L’air qui manque. Un bruit violent à proximité. Une douceur sur ma joue. L’inconscience. Le noir.

 

...

 

...

 

...

 

...

 

Une douceur sur ma joue. Des images floues. La douleur d’un os cassé, ou de plusieurs. Mon coeur s’affole. Mes yeux s’ouvrent.

 

Sur un lit de fortune, le corps entravé par des épaisseurs diverses de chiffons et tissus, je repose. A mes côtés, mon époux, occupé à panser chacune de mes plaies, à soigner chaque blessure. La souffrance est cuisante en beaucoup d’endroits, je doute être rapidement sur pieds. Dans le regard sombre de mon soigneur, je lis l’inquiétude, la tension. Une tentative de sourire. Déplaisir de ma joue. Mes lèvres craquelées pourtant s’exécutent. Mes doigts tentent de bouger, échouent. Sa main immédiatement trouve la mienne, connaissance parfaite de chacune de mes réactions. Sa voix amusée ne parvient toutefois à cacher totalement le reproche : 

 

« On m’a dit que ta tentative d’apprendre à voler s’était soldée par un échec. Sois plus prudente la prochaine fois, comment fais-je faire si je n’ai plus personne pour me ramener des pièces d’or à la maison ? »

 

Une chaleur dans la poitrine. Je souris de nouveau, attendrie, amoureuse, attentive, attendant... Ses lèvres rencontrent les miennes. Je frémis et frissonne, frénétiquement conquise. 

 

Il s’éloigne, trop tôt, une lueur de regret dans le regard. 

 

« Je dois aller m’occuper d’autres blessés, nous n’avons gardé la forteresse qu’au prix de lourds dégâts humains. Je reviens vite, pas de bêtise ! Je te surveille ! »

 

Je tente de sourire encore mais le coeur n’y est plus. Le combat aujourd’hui s’est encore soldé par un échec. Certes le bâtiment est conservé sous notre domination, mais sur un plan personnel, j’ai de nouveau cédé. Je me suis encore détruite, je me suis encore éreintée sans parvenir à prendre le dessus. 

 

J’ai failli, je suis en morceaux. Une nouvelle défaite, un éternel recommencement. J’ai encore beaucoup de chemin à parcourir pour terrasser et dominer cette ennemie, pour la plier à ma volonté, la faire obéir. La route sera longue, la lutte ardue. Je ne perds pas espoir pourtant. Au prix d’efforts et de persévérance, les hallucinations cesseront, le contrôle perdurera. 

 

Un jour, je saurai me défaire. La lutte que je mène trouvera une fin propice lorsque je me serai réconciliée avec moi-même. 

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