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Une plume, des mondes
14 novembre 2013

Aurore ~ Un jour de plus en enfer (2)

Connaissez-vous activité plus ennuyeuse que garder un palais au milieu d’une ville entièrement pacifiste ? 

Moi oui. 

Garder un camp d’entraînement perdu dans un trou loin de toute civilisation, aussi primitive soit-elle. Cela fait deux heures que je campe dans le froid de la nuit, tous les sens en éveil, pour intercepter le moindre bruit louche. Et il n’y en a aucun bien entendu. Avec la raclée qu’on a mis aux gobelours, ça m’étonnerait qu’ils osent repointer le bout de leur museau pour les six prochains mois. 

Quelle bataille mes amis, quelle bataille ! Ah j’en ai fait couler du sang, avec la bénédiction de mes supérieurs pour une fois, et ils n’ont pas fait un pli ! Tranchés en petits cubes ces sales bêtes. 

J’en profite au passage pour vous déconseiller toute tentative de cuisine. Même noyée sous les épices, leur viande demeure tout bonnement immonde, filandreuse avec un arrière goût de pourri. Bon, je l’avoue, j’en ai fait cuire une dizaine de cuissots pour mes chers camarades. De toute façon, saouls comme ils l’étaient, j’aurais aussi bien pu leur servir une cuisse humaine, ils n’y auraient pas vu d’inconvénients.

Je déteste la nuit. L’obscurité émousse mes sens, assourdit le monde et me plonge dans une vulnérabilité que j’abhorre. J’aime le matin, le délassement après l’engourdissement des songes, le renouveau. 

Mais je ne verrai probablement pas la prochaine aube. Je suis clouée ici pour la majeure partie de la nuit, assignée à ce poste de garde qui me donne l’impression d’être déjà morte d’ennui.

Voilà deux jours que j’ai rencontré les oreilles pointues, et je n’ai encore rien de bon à en dire. 

Leur regard est fait de verre, leur peau de neige et lorsqu’ils secouent la tête, leurs longs cheveux s’épandent en une infinie vague de fils d’or. 

Est-il réellement possible de réunir autant de clichés en un seul être ?!

Ajoutez à cela leur goût immodéré pour le chant dans des langages auxquels je n’entends goutte, accompagnés d’instruments à corde dont je n’avais jamais vu la forme, leur amour passionné pour les plantes et leur mauvaise habitude de la furtivité, et vous comprendrez mieux pourquoi je n’ai plus voulu en approcher un seul.

Vous pensez que j’exagère et caricature ?

Je les ai vus en train de chanter pour une pousse d’arbre qu’un de mes soudards de camarades avait piétiné ! Ils ont cassé la gueule de l’importun - ce pour quoi je les sais gré, cela me démangeait depuis une semaine mais le sergent m’avait à l’oeil, puis ont imposé cinq minutes de pause pour réparer l’essence vitale, ou je ne sais quelle autre connerie ils ont invoqué. Alors, ils se sont mis à chanter. Et je me suis barrée. Bon, évidemment, j’ai perdu un jour de solde pour désertion, mais il n’était pas envisageable que je demeure un instant de plus avec ces fous furieux. 

Les humains sont stupides, les elfes viennent d’un autre monde. Que me reste-t-il ? J’ai bien tenté d’engager la conversation avec un gobelours agonisant, mais ses râles et grognements m’ont paru plutôt insultants, alors je l’ai laissé se vider de son sang sans l’achever. Ca lui apprendra la politesse.

Qu’en est-il à l’ennemi ? Les Ulaths qui font frémir de terreur les plus valeureux guerriers de notre camp sont-ils aussi primaires ? Les Giths qui font naître la peur dans le regard de nos plus grands mages s’avèrent-ils aussi hautains ? 

J’ai hâte de pouvoir rencontrer une de ces bêtes à cornes, hâte de pouvoir mesurer mes années de pratiques, d’entraînement solitaire, à l’un de ces barbares. S’ils sont aussi forts qu’on le dit, l’affrontement sera de taille. Et qu’importe de mourir lorsque l’on a défendu chèrement sa peau ? La défaite n’est alors pas honteuse lorsque l’adversaire nous surpasse, il y a toujours meilleur nous en ce monde. 

Quant aux serpents, je préfère demeurer sagement à distance. Si je dois me farcir quotidiennement tous les simagrées de mes illustres confrères mages, c’est bien pour qu’un jour ils puissent réduire en bouillie les démons aux yeux d’ambre. Chacun sa tâche en ce monde. 

Et ma tâche pour l’heure consiste à éviter de tomber raide morte d’ennui. 

Finir cette journée, aller dormir.  

Pour que demain, je puisse continue à vivre mon enfer personnel.

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