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Une plume, des mondes
14 novembre 2013

Nuit ~ Chute et renaissance (2)

Jour du départ + 1

 

Le soleil est à son zénith. Je vais aller me coucher. Il est impressionnant de se rendre compte à quel point le Gith privé de repère temporel s’adapte vite à un rythme erratique, perdant totalement toute notion de jour et de nuit. J’ai dormi hier tout l’après midi, tandis que la soirée et ses prolongements furent le théâtre de mes réflexions et rares discussions. La matinée a été plus calme, et j’envisage maintenant de prendre du repos. 

Un navire est une chose étonnante pour quiconque n’y a jamais pris place. Les marins sont une race taciturne et morose, occupés à longueur de journée à hurler des ordres incompréhensibles sur des mâts, des misaines et autres excentricités sans jamais accorder la moindre attention aux choses qu’ils transportent, qu’elles soient inanimées, animales ou même Giths.

Les soldats pour leur part me paraissent naturellement saouls, continuellement prêts à se battre pour la moindre broutille et dénués du moindre esprit. Peut être est-ce un jugement dur pour une jeune Gith sans expérience, mais je ne peux me départir de la mauvaise impression qu’ils m’ont laissé par leur bruit, leurs cris et leur exubérance coutumière. La guerre de ces derniers jours a laissé des marques dans tous les esprits, et je ne peux comprendre la joie qui les anime tandis que mon coeur saigne. 

Enfin, quelques familles misérables ont pris également place à bord. Je ne saurais me prononcer sur elles tant elles semblent avoir élever au rang d’art la capacité de paraître insignifiantes et de demeurer dans l’ombre.

Pour ma part, j’ai trouvé une place calme au fond de la cale, entre deux tonneaux d’eau fraîche et une caisse de légumes terreux. Un vieux sac de chanvre pour couverture, une outre quelconque comme oreiller et j’avais là un confort bien supérieur à celui de ces derniers jours. 

Peut être vous demandez-vous ce que je raconte, puisque j’ai précisé venir d’une famille riche ?

Voilà quelques temps, la guerre entre les Githyankis et les Giths a éclaté en ville. Les premiers ont voulu tout raser, ralenti seulement par les seconds. Lorsque la victoire barbare a paru assurée, mon père a décidé de fuir les lieux pour trouver situation plus confortable. 

Je n’avais aucune envie de le suivre. 

Je me refuse à poursuivre ma vie avec un traître.

A l’occasion d’une inattention de sa part, j’ai trouvé refuge dans la cave secrète que j’ai découvert plus jeune dans la demeure, en jouant avec les bas reliefs de ma chambre. Trois jours que j’y étais terrée lorsque j’ai enfin osé ressortir, poussée par un instinct que je ne saurais expliquer. Je ne tiens pas à vous faire le récit long et ennuyeux des angoisses qui m’ont saisie durant tout ce temps, ni du calvaire que j’ai enduré. Pour faire court, j’étais terrorisée, je mourais de faim et ma hanche blessée dans ma fuite éperdue vers ce lieu secret me faisait atrocement souffrir.

Elle demeure aujourd’hui douloureuse, mais je n’ose pas la montrer. C’est pour cela que je pense mourir bientôt. La plaie à l’origine simplement gênante a dû s’abimer de jours passés dans un endroit humide et poussiéreux, et elle présente aujourd’hui une purulence répugnante et une douleur qui rend chacun de mes mouvements délicats. Je dois donc achever rapidement cette oeuvre pour que mon histoire ne tombe pas dans l’oubli.

Mon père était un traître. Il doit l’être encore aujourd’hui, connaissant sa capacité à toujours s’en sortir, mais je ne le considère plus comme mon géniteur. 

J’ignore ce qui l’a fait basculer dans la trahison, mais je sais qu’il y a toujours pris par la suite un plaisir incommensurable.

Ma mère n’était pas fondamentalement mauvaise. Elle se contentait d’être totalement inexistante, toute entière dévouée à un époux qui la considérait au mieux comme une esclave, au pire comme un objet, au gré de ses humeurs.

J’étais pour ma part simplement un alibi que Beolin s’attacha à affûter par une instruction et une éducation comme peu de Giths ont pu en obtenir, persuadé que je serais, dans le meilleur des cas, capable d’aspirer à ses ambitions et de m’allier à sa trahison. Il ne me considérait pas dangereuse dans le cas contraire, convaincu que je demeurerais une femme, stupide donc puisqu’issue de ma mère, et peu intéressée par des aspirations de vengeance. Les Githyankis m’auraient laissé deux ans de plus, je venais à bout de cet affreux traître, dévoilant publiquement ses manoeuvres et sa fourberie. Je n’en ai malheureusement pas eu le temps.

A chaque pleine lune, Beolin nous entrainait, ma mère et moi, dans les cavernes sombres, au Sud de Lastre, qui donnent sur la mer. Par le biais de passages dérobés dans les souterrains de la ville, nous arrivions immanquablement dans le coeur même de l’horreur.

Les Githyankis n’ont jamais vraiment accepté l’indépendance des Giths, et certains ont gardé un oeil depuis le début sur Lastre. Ces grottes représentent leur quartier général sur la terre ferme, le lieu de leur rencontre avec tous les traîtres qui, comme mon père, tiennent les ennemis au courant des projets du Roy.

Si vous souhaitez avoir un aperçu les lieux, imaginez l’intérieur d’un animal immense. Vous aurez l’odeur. Pour la vue, représentez-vous un mélange entre l’apothéose du mauvais goût et le fantasme d’un tueur sanguinaire. Vous êtes encore loin, mais jamais vous ne pourrais concevoir une telle idée si vous n’êtes pas vous-même un Githyankis dégénéré par les années et la magie. Des tapisseries se voulant le sommet de l’art pour ce peuple - autant dire des scènes sanglantes et sombres, des prisonniers et cadavres attachés au mur, leur souffle rauque emplissant l’air de leur son grave, leur pestilence se répandant dans les cavernes.

Et au bout de cet interminable couloir, un trône, sur lequel reposait immanquablement l’homme serpent le plus immonde que j’ai vu. Une multitude d’écailles couleur sang, un regard pourpre et des lèvres craquelées formaient le plus improbable tableau que vous puissiez imaginer.

Mon père, à chaque fois, s’empressait d’aller s’agenouiller devant cet être, recevant comme à chaque fois la claque nécessaire à montrer sa soumission. Il se faisait frapper avec le sourire, heureux de s’incliner devant cet être abject. 

Ma mère, alors, était offerte aux fidèles valets de ce prince de pacotille, incapable de régner sur les autres Githyankis mais désireux de garder le pouvoir. Bien des fois, je me suis demandé si Beolin était réellement mon père, si je n’étais pas la fille d’un de ces soudards. Mais le sang des barbares auraient alors coulé dans mes veines, et je n’aurais probablement pas autant ressemblé à une Gith.

Pour ma part, j’étais ignorée, laissée dans un coin, impuissant témoin d’horreurs perpétrées au nom de la magie noire et de la corruption. Beolin s’empressait alors de raconter tout ce qu’il savait à l’ennemi, ma mère pleurait et je demeurais plus silencieuse que les pierres, attendant sagement que la nuit prenne fin pour retrouver le cours normal de mon existence. 

En ces heures sombres, j’ai appris la patience et l’oubli. La capacité de se déconnecter d’une situation pour laisser son esprit s’envoler loin me fut salvatrice. Toutefois, je n’ai pas eu une enfance normale, et les rires me furent rares.

Pour cela, je hais Beolin. 

Vous connaissez maintenant la raison de l’existence du carnet que vous tenez. Je suis la fille d’un traître. 

Dès que la guerre a paru perdu pour les Giths, Beolin est parti rejoindre ses chers Githyankis, je suis demeurée enfermée dans ma cave. 

Voilà pourquoi je vais mourir sur ce bateau, loin de la terre que j’aime. Ayez pitié de mon âme, recommandez la parfois aux dieux. Je doute connaître une fin heureuse.

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