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Une plume, des mondes
14 novembre 2013

Nuit ~ Le château de Soltefalon

Le château surplombe la colline de Saint Gré, son allure crénelée étête l’horizon. On raconte sur son compte des contes et légendes à faire pâlir d’inquiétude les plus courageux, pourtant, nous sommes décidés. A l’aube, mes camarades m’ont rejointe devant ses remparts. Aujourd’hui, nous avons tranché. Maître Skalmal, après nous avoir réclamé tant et tant de choses à récupérer pour elle, nous a indiqué un moyen de pénétrer dans sa cour.

Les Azers rôdent, en contrebas. Leurs chevelures de flammes étincellent dans le levant, promesses de souffrance pour qui oserait les défaire. Nous nous y risquons. Les Cendres et Neige souhaitent percer les mystères de ce lieu et en retirer les honneurs. D’autres Giths, d’autres Ulaths sont là également, aussi la lutte sera-t-elle rude, mais j’ai confiance dans la capacité des miens. Je connais chacun d’eux, j’ai enduré leur force dans la tourmente, j’ai goûté leur confiance dans les moments les plus durs, et même si leur sens de l’humour me donne parfois des envies de pendaison, j’aime chacun d’eux pour ce qu’il est. 

Aujourd’hui, chacun d’eux sera primordial, car l’aura qui se dégage de cet endroit ne m’inspire rien de bon. Ma peau se hérisse, mes sens s’affolent, et je perçois le danger tapi au creux de ces pierres sombres. Pourtant, nous lançons l’assaut. 

Connaissez-vous l’horreur de la guerre ? Non pas la froide détermination du combat, mais la terreur glaciale et saisissante de la boucherie à l’état pur. Avez-vous déjà saisi la folie dans les yeux de vos ennemis ? Avez-vous déjà joui de leur agonie, regretté leur ignominie ? Connaissez-vous vraiment le sens du mot enfer ?

Les Azers nous l’ont appris.

Malgré notre force, malgré notre organisation, et malgré les soins que j’ai dispensé des heures durant, plusieurs des nôtres sont tombés. Chaque perte a miné notre moral, renforcé notre détermination, mais l’affaiblissement nous a peu à peu saisis. Le désespoir toutefois ne nous a jamais emportés, il s’est contenté de nous frôler, bon prince jouant de ses fidèles.

Tant de magie utilisée en si peu de temps, tant d’efforts déployés. J’ai sué, j’ai pleuré. Mes mains se sont recouvertes de sang tant ennemi qu’allié, mes yeux se sont gonflés de fatigue, mes doigts se sont engourdis de tenir mon bâton avec tant de ferveur, et l’inconscience parfois m’a effleurée. 

Pourtant j’ai tenu. Serrant les dents, couvant chaque compagnon d’arme du regard, j’ai enchaîné, frappant un azers, soignant un allié, assommant un gobelours, dévastant une zone entière dans une explosion magique. Les barbes rousses revenaient, toujours plus nombreux. Nous luttions, toujours plus rares. 

Lorsque j’y suis parvenue. L’Azers entre mes doigts s’est raidi, la magie a pris possession de son être, a rongé son corps, la vie a quitté son esprit. Consumé par les flammes de sa propre entité, il a disparu en effluves colorés vers le ciel. 

Serrée au creux de mes doigts, une clef finement ouvragée pèse lourd. 

Un sifflement bas, un signal de reconnaissance. Les Cendres et Neige encore debout me rejoignent, me protègent. Les rôdeurs fatigués repoussent les assauts, Cush et Neltys, les guerriers font barrière, Khrym et Mourning Would. Un mage, probablement Boern, a fait brûler plusieurs ennemis. Cornelius me soutient, insufflant ses dernières forces dans de précieux sortilèges qu’il tisse sur ma personne. Encore un peu de courage, encore un peu d’énergie. La clef pénètre dans la serrure, le pêne coulisse dans un fracas de tous les diables. A deux, nous parvenons à pousser les lourds battants. Ils pivotent dans un grincement féroce. J’entends quelqu’un crier derrière moi, je saute dans la cour intérieure, attirant mes alliés à moi. Des Azers tentent de nous suivre, immédiatement cueillis par une rangée de flèches et quelques coups d’épées. Les portes se referment. Nous avons réussi, nous avons pénétré la cour du Château ! 

Je m’effondre face à mes amis, mes dernières résistances abattues en même temps que le dernier nain. Je tremble, j’ai froid, mais tente de me ressaisir. Je suis baronne. Je suis baronne. Une baronne ne pleure pas devant ses chevaliers. Une baronne leur sourit, les rassure, les transporte et les fait sentir plus forts. Une baronne est un idéal, un soutien, une incroyable force.

Je me sens minable. 

Je jette un regard sur le peu de compagnons qu’il me reste. Les autres sont tombés, dehors. Les dieux auront pitié de leur âme, et nul doute qu’ils se réveilleront, sonnés, près des Collines de Saint Gré, mais je regrette leur présence pour l’épreuve qui nous attend. 

Je me sens exécrable.

Quelques inconnus ont réussi à se mêler à notre groupe. Des combattants que j’ai déjà vus, d’autres qui me sont totalement étrangers, mais je n’ai pas le coeur à la moindre remarque. Ils se sont battus aussi fièrement que nous, ils ont montré leur courage. Qu’ils nous suivent pour le reste de l’aventure, s’ils sont capables de tenir la cadence. 

Pourtant, quelque chose me gêne. La joie que j’attendais, l’exultation de la victoire que j’attendais sur les traits de mes camarades ne s’y trouve pas. Une peur s’y lit, viscérale, qui me submerge rapidement. Un instant de flottement, je me retourne doucement pour faire front à la Cour. 

Des centaines d’yeux me fixent. 

Je me sens morte.

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